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Les faux aveux : un phénomène méconnu et cause d'erreurs judiciaires

  • Photo du rédacteur: Caroline Hébert
    Caroline Hébert
  • 7 oct.
  • 9 min de lecture

L’idée qu’une personne innocente puisse volontairement s’accuser d’un crime qu’elle n’a pas commis défie la logique humaine. Pourtant, de nombreuses recherches démontrent qu’il s’agit d’un phénomène réel, documenté et récurrent dans plusieurs systèmes de justice à travers le monde. L’étude des fausses confessions (ou faux aveux) soulève des questions fondamentales sur la psyché humaine, la justice, et les limites des techniques d’interrogatoire. 

 

Le concept de la fausse confession

 

Une fausse confession désigne une déclaration volontaire par laquelle une personne avoue un acte criminel qu’elle n’a pas réellement commis.

 

Dans le cadre judiciaire, un aveu constitue une preuve extrêmement puissante : les juges et les jurés tendent à le considérer comme la forme la plus convaincante de culpabilité. C’est précisément ce qui rend les faux aveux si dangereux, puisqu’ils peuvent conduire directement à des condamnations injustifiées.

 

Le docteur Kassin (2015) souligne que l’idée de confesser un crime non commis paraît, à première vue, inconcevable. Et pourtant, les fausses confessions surviennent régulièrement, non seulement dans les affaires criminelles, mais aussi dans des contextes militaires et organisationnels. L’erreur judiciaire devient alors la culminance tragique d’un enchaînement psychologique et procédural.

 

Des éléments comme une longue durée d’interrogatoire, la fatigue et l’usage de stratégies pernicieuses ou coercitives lors de l’entretien sont souvent à la racine de ces erreurs. Dans un cas typique, un interrogatoire s’étirant sur plus d’une dizaine d’heures est un facteur particulièrement propice à l’effondrement de la résistance psychologique du suspect. Le temps, combiné à la pression, engendre un épuisement des ressources cognitives, ouvrant la voie à une capitulation psychologique.

 

Les trois types de fausses confessions

 

Selon les typologies classiques établies par Kassin et Wrightsman (1985) et confirmées dans plusieurs études subséquentes, il existe trois grandes formes de faux aveux : volontaires, coercitifs-compliants et coercitifs-internalisés.

 

Les aveux volontaires 

 

Dans ce scénario, l’individu confesse librement, sans pression externe ni contrainte policière. Cela peut résulter de motivations variées : un besoin d’attention, une volonté de protéger le véritable coupable, un trouble psychologique, ou encore un sentiment de culpabilité généralisé. 


Ces faux aveux restent rares, mais ils existent historiquement, notamment dans des affaires fortement médiatisées où certains individus cherchent à s’associer à un crime célèbre.

 

Les aveux coercitifs-compliants 

 

Il s’agit de la forme la plus courante. La personne confesse sans y croire réellement, uniquement pour mettre fin à une situation intenable. 

 

Les interrogatoires prolongés, la privation de sommeil, la faim, la soif ou la peur peuvent pousser un individu innocent à céder simplement pour échapper à la souffrance psychologique. 

 

Comme le souligne Kassin (2015), chaque être humain a un point de rupture : un moment où le coût du maintien du déni devient supérieur à celui de la confession. Dans ces conditions extrêmes, le suspect perçoit l’aveu non pas comme une reconnaissance de culpabilité, mais comme un moyen d’obtenir un répit. L’idée que la vérité « finira par éclater » plus tard renforce cette rationalisation momentanée.

 

Les aveux coercitifs-internalisés 

 

Dans ces cas plus rares mais particulièrement troublants, le suspect finit par croire réellement à sa propre culpabilité. 

 

Face à des assertions trompeuses de la part des enquêteurs — par exemple, en leur assurant que des preuves existent contre eux —, certaines personnes finissent par douter de leur propre mémoire. Sous un stress intense, elles peuvent se construire de faux souvenirs pour rationaliser cette culpabilité induite. 

 

Ce mécanisme de persuasion psychologique illustre la puissance des biais cognitifs et de l’influence suggestive sur la mémoire humaine.

 

Méthodes d’interrogatoire et risque de faux aveux

 

Les méthodes d’interrogatoire jouent un rôle central dans la survenue des fausses confessions. 


Historiquement, plusieurs techniques d’interrogation ont été développées dans un but d’efficacité, mais certaines ont des effets pervers. Par exemple, la célèbre méthode Reid, largement employée en Amérique du Nord, mise sur la présomption implicite de culpabilité et sur la persuasion psychologique.

 

Les interrogateurs, convaincus de la culpabilité du suspect dès le départ, adaptent leurs attitudes et leurs questions de façon à provoquer une confirmation de leur hypothèse. Ce biais de confirmation devient alors un moteur dangereux : il modifie leur perception des signes comportementaux, interprétant la nervosité ou les contradictions comme des marques de culpabilité.

 

Kassin et Norwick (2004) ont d’ailleurs démontré que les personnes innocentes ont plus tendance à renoncer à leurs droits et à coopérer avec la police, croyant que la transparence de leur innocence suffira à les disculper. Cette confiance naïve les rend particulièrement vulnérables face à des techniques de suggestion ou de manipulation.

 

Les mécanismes psychologiques en jeu

 

Pourquoi une personne innocente en vient-elle à confesser ? 

 

Pour le comprendre, il faut explorer les principes de la prise de décision sous pression. Les recherches en économie comportementale (Herrnstein, Rachlin & Laibson, 1997) montrent que les individus cherchent à maximiser leur bien-être immédiat dans un contexte de contrainte. Lors d’un interrogatoire, ce bien-être est fortement compromis : la fatigue, la peur, la confusion et la désorientation créent une situation où la confession devient la solution la plus « raisonnable » à court terme.

 

Les études sur la dévalorisation temporelle (Rachlin, 2000) expliquent ce phénomène : sous le stress, les individus privilégient un soulagement immédiat plutôt qu’un bénéfice futur. Pour un suspect épuisé, avouer signifie mettre fin à l’interrogatoire — un gain immédiat et tangible — tandis que nier implique la continuation d’un processus douloureux, voire sans issue apparente.

 

Ce schéma décisionnel est au cœur du paradigme décrit par Ofshe et Leo (1997), selon lequel l’interrogatoire policier classique est conçu pour accroître la détresse associée au déni et réduire celle liée à l’aveu. L’aveu devient ainsi, d’un point de vue strictement rationnel, la meilleure option émotionnelle sur le moment, même s’il est factuellement faux.

 

La fatigue, la privation de sommeil et le moment de l’interrogatoire

 

Les conditions physiques jouent un rôle déterminant.  Les travaux de Scherr, Miller et Kassin (2014) démontrent que les interrogatoires nocturnes ou menés durant des périodes de faible vigilance augmentent considérablement la probabilité d’un faux aveu. 

 

Lorsque s’ajoutent la privation de sommeil, la faim ou une longue attente en garde à vue, les capacités de résistance psychologique s’effondrent. Selon Madon, Yang, Smalarz, Guyll et Scherr (2013), plus la durée de l’interrogatoire est prolongée, plus le risque de fausse confession augmente de manière exponentielle.

 

Ces effets sont corroborés par Davis et Leo (2012), qui mettent en lumière le phénomène d’épuisement d’autorégulation : même les suspects les plus résistants finissent par céder après plusieurs heures de confrontation.  Leur étude révèle que dans la majorité des cas documentés de fausses confessions, 34% des interrogatoires ont duré de 6 à 12 heures, et 39% de 12 à 24 heures. 

 

Ces durées dépassent largement les standards opératoires recommandés pour garantir la fiabilité des déclarations.

 

L’effet de fausse preuve

 

Une autre technique hautement controversée consiste à confronter le suspect à de fausses preuves. 

 

Les policiers peuvent, dans certaines juridictions, mentir sur la présence d’empreintes digitales, d’enregistrements vidéo ou de témoignages accablants. L’objectif est d’éroder la résistance du suspect en l’amenant à croire que toute tentative de défense est futile.

 

Ce procédé, bien que légal dans certaines régions, augmente drastiquement la probabilité d’un faux aveu. Sous l’influence de cette illusion, un individu vulnérable peut penser : « Si les preuves existent, alors peut-être que j’ai vraiment fait quelque chose sans m’en souvenir. »

 

Ce doute précède souvent une internalisation de la culpabilité, menant à la création de souvenirs fictifs cohérents avec les accusations.

 

La stratégie de minimisation

 

La minimisation est une technique subtile mais redoutable.  L’interrogateur tente d’adoucir la gravité perçue du crime, en proposant des justifications morales : « Je comprends, tout le monde aurait perdu son sang-froid dans cette situation » ou « C’était un accident, non ? ».

 

En suggérant ainsi une forme de clémence implicite, les policiers encouragent les suspects à reconnaître les faits pour bénéficier d’un traitement plus favorable. Cette approche exploite à la fois le besoin de compréhension et la peur d’une répression sévère, créant une pente glissante vers la fausse confession.

 

Kassin (2015) souligne que la minimisation est souvent perçue comme bienveillante par les suspects, alors qu’elle constitue, dans les faits, une manipulation psychologique efficace et insidieuse.

 

Les biais cognitifs et la présomption de culpabilité

 

Un autre facteur critique est le biais de présomption de culpabilité. Une fois qu’un enquêteur croit qu’un suspect est coupable, il interprète inconsciemment tous les comportements à travers ce prisme. L’hésitation, la nervosité, voire la colère deviennent autant d’indices de culpabilité. Ce processus de confirmation renforce les techniques de pression et réduit la possibilité de réévaluation objective.

 

Ce biais ne concerne pas uniquement les forces de l’ordre. Il s’étend à l’ensemble du système judiciaire : jurés, procureurs et même juges tendent à percevoir un aveu, quel qu’il soit, comme la forme suprême de vérité. Or, comme le rappellent Kassin et ses collaborateurs, la fausse confession biaise ensuite toute la chaîne de preuve : une fois un aveu prononcé, les analyses médico-légales, les témoignages et les expertises sont inconsciemment interprétés pour le corroborer.

 

Les conséquences judiciaires et humaines

 

Les répercussions d’un faux aveu dépassent largement la seule erreur judiciaire. Pour la personne innocente, l’aveu marque souvent le début d’un processus de culpabilisation institutionnelle impossible à inverser. L’opinion publique et les médias assimilent l’aveu à une vérité absolue. Une fois condamné, le suspect devient prisonnier d’un stigmate durable. 

 

Sur le plan psychologique, la honte, la détresse et la désillusion peuvent conduire à des troubles post-traumatiques sévères.

 

Les familles des victimes et des condamnés subissent, elles aussi, une double injustice : la vérité leur échappe, et la confiance en la justice s’érode.

 

Le Project Innocence, organisation fondée en 1992 aux États-Unis, illustre tragiquement l’ampleur du phénomène. Sur plus de 300 exonérations post-condamnation fondées sur des analyses ADN, environ 30% impliquaient des faux aveux comme facteur majeur (Kassin, 2015). Ces chiffres confirment que les erreurs ne relèvent pas d’anomalies isolées, mais d’un phénomène systémique.

 

La perception des policiers et la formation

 

Pour comprendre comment ces situations émergent, il ne faut pas diaboliser les enquêteurs. La plupart n’ont pas l’intention consciente de provoquer un faux aveu. Ils suivent des protocoles fondés sur des croyances anciennes en psychologie du mensonge : interprétation du langage corporel, maintien du contact visuel, ou lecture intuitive de la sincérité. Pourtant, la recherche scientifique démontre que les humains sont de très mauvais détecteurs de mensonge — même les experts.

 

Kassin et ses collègues ont montré que les enquêteurs entraînés à repérer les « signes de duperie » ont souvent davantage confiance en leur jugement. Cette surconfiance professionnelle les rend donc davantage enclins à utiliser des techniques coercitives envers ceux qu’ils croient coupables. Les solutions et les réformes nécessaires.

 

Pour réduire le risque de fausses confessions, plusieurs réformes sont désormais préconisées à l’international :

 

  • Enregistrement vidéo intégral des interrogatoires :  cela permet d’évaluer objectivement le déroulement, le ton et la durée de l’interrogatoire, réduisant les risques d’abus.


  • Formation en psychologie du comportement et en biais cognitifs :  les enquêteurs devraient être sensibilisés aux limites humaines de la perception et aux effets de la fatigue, du stress et de la persuasion.

     

  • Encadrement de la durée et des conditions physiques d’interrogatoire : des périodes maximales doivent être fixées, et les besoins physiologiques du suspect garantis.

     

  • Interdiction de la manipulation de fausses preuves : plusieurs pays, notamment en Europe, commencent à reconnaître les dangers juridiques et éthiques de cette pratique.

 

Approche centrée sur l’entretien cognitif et non accusatoire : inspirée du modèle britannique PEACE, cette méthode privilégie la collecte d’informations objectives plutôt que la recherche d’un aveu à tout prix.

 

Les faux aveux : un miroir de nos failles institutionnelles

 

Comprendre les faux aveux, c’est admettre une réalité dérangeante : la vérité judiciaire peut être façonnée, altérée, ou même fabriquée. 

 

Les aveux — considérés comme l’arme de preuve la plus incontestable — peuvent être le fruit d’un déséquilibre de pouvoir, d’une méprise psychologique, ou d’un système d’interrogation qui pousse l’humain au-delà de ses limites.

 

Les travaux de Kassin, Leo, Ofshe et plusieurs autres chercheurs ont permis de transformer la perception académique et judiciaire du phénomène. Aujourd’hui, de plus en plus de tribunaux reconnaissent le caractère faillible des aveux et la nécessité d’une approche scientifique en matière d’interrogatoire.

 

Les statistiques récentes rappellent toutefois qu’il reste du chemin à faire. Tant que les systèmes continueront de valoriser l’aveu comme « preuve reine », sans prise en compte des contextes d’obtention, les risques de faux aveux persisteront.

 

Faux aveux et erreurs judiciaires

 

Les faux aveux ne sont pas des aberrations isolées ni le fruit d’individus faibles ou manipulables. Ils sont le produit d’une interaction complexe entre la psychologie humaine et les dynamiques institutionnelles de pouvoir. 

 

Fatigue, stress, persuasion, biais cognitifs et stratégies d’interrogatoire créent un environnement où même les plus intègres peuvent faillir. Ce constat, dérangeant mais essentiel, appelle à repenser nos méthodes d’enquête et notre conception même de la vérité judiciaire. 

 

Au cœur de cette réflexion, un principe demeure : dans un système de justice véritablement équitable, la recherche de la vérité ne doit jamais se confondre avec la quête d’un aveu.


 

Némésis offre des services de profilage criminel, de tests polygraphiques, d'enquête et d'analyse d'investigation aux corps policiers québécois, aux juristes ainsi qu'à toute entité ou citoyen nécessitant une expertise pointue en terme d'investigation privée.

 

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